mardi 3 juillet 2007

Journal de Maré du 16 sept au 14 octobre 2006

La Roche, le 14/10/06
NOËL Pierre-Jean et Anne-Violaine
Collège de La Roche – Ile de Maré
98 878 Tadine cedex
Nouvelle Calédonie.

Tél : 00 687 45 08 35 (ajouter 9h à l’heure métro)
Mail : pjnoel@tiscali.fr



Chères toutes et chers tous,

Nous sommes aujourd’hui samedi 14 octobre, et il fait gris et il y a du vent… Alors, bien qu’il fasse 24°, on est d’humeur un peu frileuse… On en profite pour prendre notre courage à deux mains et vous donner quelques nouvelles !
Que s’est-il passé entre le 16 septembre et le 14 octobre ? Eh bien, nous pensions que cette missive serait courte, mais à y regarder de plus près… il va falloir finalement que l’on soit plus concis la prochaine fois si l’on ne veut pas lasser notre lectorat.
Le samedi 16 septembre, nous avions prévu de longue date de nous rendre à la fête des 10 ans de chansons de Gulâan. Gulâan est le chanteur du groupe OK RYOS, dorénavant de renommée internationale, un groupe que Pierre-Jean a connu en métropole en téléchargeant de la musique kanake, deux ans avant que l’on parte ! Il s’avère que ce groupe est de Maré ! A l’occasion de ces 10 ans, la mairie de Maré a organisé un grand concert avec des chanteurs locaux, et des vedettes comme PierPolJak et Nassio, chanteurs de Reggae. En effet, la musique locale contemporaine s’appelle le Kaneka, une musique très influencée par le Reggae, mêlant des harmonies recherchées et surprenantes, chantée en Nengoné, dialecte local. Le Nengoné, comme le créole, est un agglomérat de mots d’origines diverses comme l’anglais, le français et surtout des dialectes préexistants. Ainsi, la tribu de Patho ne se prononce pas « pato » mais « paso » avec un « th » à l’anglaise. Les « R » se roulent à l’anglaise.
Il a été très difficile de savoir quand et à quelle heure commenceraient les festivités… On nous a tout d’abord dit que tout commençait dès le vendredi avec des groupes locaux. Comme nous obtenions une réponse différente selon les interlocuteurs, nous nous sommes rendus à la Mairie, où l’on nous a répondu qu’il fallait poser la question aux techniciens au stade de Tadurhemu, lieu du concert… Bref, on s’est rendu sur place le samedi 16 à 10 heures, et nous n’avons rien loupé, car rien n’avait commencé… Nous avons eu droit à une petite cérémonie d’ouverture où les discours ont succédé aux danses traditionnelles devant le Grand Chef de l’ouest de l’île, le Maire, et les chanteurs vedettes. Après quoi, les chanteurs se sont livrés à une séance de photo et de dédicace. Je souhaitais que Gulâan dédicace mon album (le téléchargement n’empêche pas l’achat des albums originaux !), mais il a tout à coup disparu alors que Pierpoljak s’est dirigé vers nous. Il a échangé quelques mots sympas avec nous, et a déclaré être fier de signer sur les albums d’OK RYOS ! Il y a eu après cette séance agréable un léger flottement… Il était 11 h, trop tard pour débuter les concerts, et trop tôt pour aller manger… De notre côté nous avons résolu le problème par une têtée-changement-de-couche-petit-rôt, et il était déjà temps de manger ! Le pourtour du stade était fleuri de petits snacks de fortune pris en charge chacun par une tribu. Nous avons ainsi mangé des crevettes à l’ail, de la salade sauce Maggi et de l’igname au milieu des enfants qui jouaient, des mamas qui s’affairaient aux fourneaux, et des vieux attablés. Comme à chaque fois, une mama nous avait repérés, ou plutôt avait repéré Aloha avec des yeux gourmands… En effet, dès que l’on mange en tribu, il y a toujours une mélanesienne qui vient timidement mais sûrement nous enlever Aloha des bras avec un grand sourire, sans attendre la réponse à la demande de permission bredouillée. Nous regardons alors Aloha disparaître de nos yeux, enfouie dans une poitrine hospitalière et des mains caressantes. Un nourrisson kanak du même âge qu’Aloha, dans d’autres larges mains, faisait le double du volume de notre crevette qui n’a pourtant pas à rougir, loin de là, de ses 6,5 Kg, à en croire la courbe de poids de son carnet de santé. Heureusement que cette courbe est attestée par la Science car nous aurions alors douté du sein de sa propre mère. Plutôt que de douter, nous avons préféré croire en la réincarnation du Bouddha face à ce nourrisson mélanésien ventripotent. Après le repas, ne voyant toujours pas arriver le concert, nous avons mis les voiles pour aller faire une sieste sur la plage. A 17 heures, finalement, les choses ont commencé à dangereusement se préciser. Une ribambelle de chanteurs locaux ont commencé à se succéder alors que la nuit commençait à tomber. Certains étaient moyens, d’autres vraiment bien, et quelques-uns nuls... En tout état de cause, une richesse inouïe pour petite île paumée de 8000 habitants. Gulâan a commencé à chanter à 22h30 ! Le froid étant tombé sur nous en même temps que la nuit, et à bout de patience, nous avons écouté 3 de ses chansons et puis nous nous sommes éclipsés. Quant à Pierpoljak et Nassio, il étaient prévu après Gulâan, ils ont dû éteindre la lumière et passer le balais à 5 heures du matin ! Dorénavant, les tonitruants « Bon anniversaire Gulâan ! » de Tadurhemu sont devenus une interjection familière entre A.V et moi qui vient ponctuer notre éventuelle exaspération quant à un dysfonctionnement administratif, un retard anormal quelconque, bref une contrariété toute occidentale face à ce qui semble chaotique. Mais entre nous soyons clair, ce n’est pas de l’anomie, c’est un changement de paradigme.
Lundi 18 septembre, dans les cris et les larmes, énorme caca d’Aloha après 4 jours d’abstinence. La nouvelle claque dans les rédactions comme une libération d’otages au Liban.
Mardi 19 septembre, une coupure de courant était prévu par Enercal (EDF local) pour la journée. Nous avons alors prévu d’aller ,nous promener (P.J étant en vacances). La journée fut très agréable, mais nous avons pris conscience d’une chose qui s’est confirmée ensuite. Ici, le courant, l’eau courante et le téléphone reste un luxe dont il faut rendre grâce chaque matin au réveil. En effet, chacun sait combien ne plus avoir d’électricité est handicapant. Mais dans le sillage de l’électricité, c’est aussi le téléphone qui se coupe, l’eau chaude qui fraîchit, puis l’eau tout court ! Les stations de pompage s’arrêtent aussi. Nous sommes allés à l’OPT (La Poste locale) chercher notre courrier. L’employée nous voyant venir nous a prévenus qu’il n’y avait pas de retrait (de petite coupures !) d’argent possible à cause de la coupure (d’électricité). Mais, le sourire indulgent, nous avons rassuré la brave femme, car nous présumions le désagrément, et ce n’était d’ailleurs pas l’objet de notre visite… Nous souhaitions simplement prendre notre courrier (il n’y a pas de boîte aux lettres ni de facteur : que des boîtes postales ou des cageots plastiques sur le comptoir où chacun vient farfouiller pour trouver son courrier ; le courrier du Collège et le nôtre est toutefois mis à l’écart). L’employée, ragaillardie, nous répond que là, elle peut donner suite à notre demande, et s’exécute avec empressement… avant de revenir navrée… En effet, elle peut distribuer le courrier oui, mais le courrier des jours précédents. « Ah bon ? – Oui, il y a beaucoup de mariages aujourd’hui, et donc beaucoup de cadeaux dans l’avion, alors dans ces cas là, le courrier attend le jour d’après. ». Nous nous sommes inclinés, attendris, face à cet arbitrage souverain tranchant ce dilemme cornélien entre le cœur et la raison. Ainsi, sur Maré, les sentiments passent avant la froide paperasserie. Comme c’est charmant !
Mercredi 20 septembre, plongée à la plage de Pédhé. Il s’agit en fait de la deuxième descente aux abysses depuis l’arrivée de nos palmes, elles-mêmes venue par la mer après un long voyage de 3 mois. Il y a tout de même un petit stress au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la plage pour explorer les fonds marins si vivants. Je m’engage dans une petite crique découpée dans la roche, j’en ressors assez rapidement à cause du courant. Je poursuis un peu plus loin où j’admire une ribambelle de poissons multicolores. Tout à coup, mon cœur se glace et je me retourne vivement ! En effet, quelque chose vient de me pousser aux fesses (une poussée externe, pas interne, voyons…). Cette pression extérieure sur mon séant alors que je nageais étais complètement inattendue. Il s’agissait de Toffee qui m’avait suivi à la nage !!! Il étais tout content ! et au final, moi aussi ! Je l’ai raccompagné jusqu’à la plage en le propulsant à l’aide de mes palmes. Arrivé sur le sable, il s’est ébroué, ravi, à côté de la serviette de 2 gendarmes ayant quittés leur uniforme bleu pour celui cramoisi des coups de soleil. Toffee les a rafraîchis. Je suis retourné à mes explorations, laissant A.V à sa lourde tâche de diplomate auprès des escalopes panées de gendarmes. Quelques instants après, je me suis retrouvé dans un ban de poissons translucides d’environ 15 cm de longueur, dont on ne voyait que les yeux. Je peux même dire que l’œil droit, puisqu’ils tournaient autour de moi dans le même sens. La situation était cocasse : j’étais dévisagé par cent ou mille yeux droits qui tournaient avec curiosité autour de moi dans un mouvement circulaire régulier. C’est à ce moment précis que j’ai saisi le sens profond du cri d’Antoine (celui qui a les cheveux longs) : « Atoll !!! Les opticiens !!! ». A la vérité, j’étais bien loin de penser à ce Merlu. Puis, j’ai relayé A.V dans son baby-sitting, afin qu’elle goûte également aux joies de la vision marine. Mais A.V passe toujours beaucoup de temps à régler son masque, à cracher l’eau de son tuba, et lisser ses écailles de sirène avant de partir au large. Ses observations furent, au début, un peu maigres. Par miracle, le masque et le tuba vidés une énième fois, l’aventure put commencer… C’est ainsi qu’Anne-Violaine vit s’éloigner une queue de requin. Entrevue manquée…
Vendredi 22 septembre, nous décidons d’aller rendre visite à une mélanésienne agent de service du Collège qui nous avait invité de nombreuses fois à visiter son jardin. Nous avons été accueillis à bras ouverts. Laissant de côté leurs préparatifs de mariage, nous ont été présentés son jardin de plantes, puis, un peu plus loin, ses champs où poussent haricots, ignames, salades, bananes, … Nous sommes partis la voiture pleine : nous avons eu du mal à caser la Petite et Toffee ! Nous avons ainsi planté chez nous un bougainvillier, des cordylines,un lantana et d’autres arbustes dont on ne connaît pas le nom.
Samedi 23 septembre, nous allons fêter avec 11 jours de retard nos 7 ans de mariage ! On nous a indiqué un gîte au nord de l’île. Après avoir suivi une route sinueuse, tantôt goudronnée, tantôt recouverte de « catcha » ( en creusant le sol de l’île qui est un massif coralien, des tonnes de poudre blanche sont prélevées pour boucher les nids de poules de la route, ou bien remplacent le macadam), nous avions l’impression d’aller encore un peu plus vers un monde isolé et lointain. Après avoir demandé notre route à plusieurs personnes, et réussi à fuir un troupeau d’hommes saouls du mariage voisin, nous avons enfin trouvé la cabane où se cache un gîte ! Le site est magnifique et les tenanciers charmants. Nous avons mangé une salade de crudités mélangées à du poulpe (étonnamment délicieux !), du poisson délicieux (dont on a oublié le nom – pas facile le nengoné !) sauce curry, accompagné de riz cuit dans du lait de coco, des rondelles d’igname frits, de la papaye fraîche relevée de citron vert sauvage en dessert. C’était simple mais très bon. Pour digérer, nous nous sommes perdus en forêt en longeant le rivage. Très sauvage. La roche est très coupante : c’est un agglomérat de coquillages de je ne sais quelle ère géologique. La végétation arrive à gagner cette roche, dans un mélange tantôt de garrigue sèche, tantôt de sous-bois humides rayés de lianes et parés de fougères arborescentes. Nous avons terminé la journée en repiquant vers le sud de l’île pour visiter la conserverie de Maré dont c’étaient les portes-ouvertes. Cette conserverie a reçu 2 semaines plus tôt la visite du Ministre de l’Agriculture Dominique Bussereau. Nous avons été étonnés qu’il fasse escale à Maré, cette unité de lavage, de sélection et d’emballage de fruits et de légumes est encore balbutiante bien que flambant neuve. Dans la salle principale de conditionnement, nous avons trouvé assises sur des nattes des femmes jouant au bingo. L’affaire était sérieuse car il y avait des ignames en jeu. Une femme s’est résignée à quitter le cercle de jeu pour nous faire visiter et proposer des fruits et légumes. Nous avons acheté des pamplemousses énormes, des bananes, des fruits de la passion, des ignames, des citrons, une grosse citrouille dont nous faisons de délicieuses soupes au goût de châtaignes (souvenir du Limousin…).La journée s’est terminée devant notre série préférée « Prison break » (pour le week-end, nous empruntons une TV du Collège) devant une poêlée de bananes poingo (banane légume cette fois-ci, relevée d’ail de sel et de poivre revenue dans du lait de coco). Le sommeil a trouvé son chemin tout seul…
Dimanche 24 septembre, sale temps pour les bêtes : Toffee a été traîné de force sous la douche pour y retrouver sa blancheur d’autrefois… Nous nous apprêtions à entammer une promenade pour finir son séchage (il a encore son gros poil !) quand une voiture s’arrête à notre hauteur. Un homme de 45 ans ouvre sa vitre et nous fait part de son embarras financier… L’OPT est fermé, et il n’a plus d’essence… Alors, si nous pouvions faire un petit geste pour le dépanner… Lorsque P.J lui demande d’estimer ce que veut dire petit geste, le vieux nous coupe le sifflet en demandant 5000 f cfp (environ 275 ff). P.J retourne à la maison pour aller chercher de l’argent et décide de lui donner 3000 (environ 175 ff), de quoi faire cinq fois le tour de l’île en voiture ! Quand on lui a demandé comment il nous connaissait, il nous a répondu que c’était le chauffeur du camion-poubelle. Par la suite, après une longue période d’absence au volant du bolide, il est réapparu sur sa tournée. Alors que se sont normalement ses ouailles qui descendent du camion pour prendre nos poubelles, là Joseph est descendu lui-même, est venu frapper à notre porte, pour nous… dire bonjour ! Nous avons pris cela comme un remboursement d’une somme, que, de toute façon nous n’espérions pas récupérer.
Lundi 25 septembre, rentrée de Pierre-Jean après ces 15 jours de vacances. Les agents lui ont avoué être soulagés de reprendre le travail, car ils sont exténués par le rythme des mariages…Nous initions Aloha à des siestes dans son nouveau lit.
Mercredi 27 septembre, nous apprenons fortuitement qu’il n’y a plus d’essence sur l’île ! Sans radio ni TV en semaine, nous sommes passés à côté de l’info majeure du début de semaine : Le CSTKE, sorte de CGT locale en plus musclée et à la philosophie politique alambiquée revendiquant une essence à 48 francs CFP (= 2, 50 frs !!!), le renvoi des philippins du chantier de Goro Nickel (au nom de l’emploi local), et la démission du « gouvernement » local jugé incompétent (allant même jusqu’à regretter le temps de leur ancien ennemi Lafleur !), rien de moins, bloque les dépôts de carburant ! Le lendemain, les barrages sont levés manu-militari par la gendarmerie, mais les îles doivent attendre la semaine suivante l’arrivée du prochain bateau de carburant ! Trois jours de blocage à Nouméa = 1 semaine de pénurie sur les îles. Et c’est cela à chaque fois. Sylvain Néa, le turbulent dirigeant de la CSTKE aurait également déclaré qu’il souhaitait s ‘attaquer à la vie chère dans les îles… Nous aimerions que ce philanthrope s’occupe de ses boîtes de petits pois sur la Grande Terre sans qu’il nous foute le bazar encore plus ici !
Samedi 30 septembre, plongée à Pédhé. En plongeant, je me disais qu’il fallait que je me prépare psychologiquement à faire la rencontre d’un requin, que c’était courant, que c’était certainement très beau, et puis que de toute façon c’est inoffensif… sauf si on nage avec du poisson sanguinolent à la ceinture auquel cas il deviendrait un peu plus taquin. Bref, regonflé à bloc j’arpentais les coraux, admirant une grosse tortue bougeant lentement ses pattes et pourtant avançant promptement. Plus loin, j’ai cru revoir mes amis poissons-œil translucide. Mais l’œil était beaucoup plus gros, la forme plus bizarre, et la fuite remplaçant la curiosité. C’est alors que j’ai reconnu un banc de poulpes que je ne croyais pas si palot après en avoir mangé en salade… Comme les crevettes, la couleur apparaît à la cuisson. Par décence, je me suis bien gardé d’évoquer ces réflexions à leurs cousins de devant mes yeux… Et puis au détour d’une patate de corail, j’ai rencontré Monsieur Requin… N’écoutant plus ma raison, je me suis retourné pour m’enfuir, craignant la myopie légendaire de la bête, il est vrai qu’une méprise serait d’autant plus fâcheuse que regrettable… La seule chose finalement qui m’ait rassuré a été de m’apercevoir qu’il en faisait autant… Je me suis tout de même retourné plusieurs fois sur le chemin du retour, pour voir si j’étais suivi… Anne-Violaine a admiré la même grosse tortue affalée dans les coraux morts à déguster je ne sais quoi… La pauvre a été dérangée une deuxième fois, mais cette fois, intriguée, elle a nagé quelques brasses aux côtés d’A.V : instant magique. On éprouve un grand sentiment de respect face à une tortue certainement plus vieille que soi à en croire sa carapace de 80 cm, et à sa grande grâce malgré un physique somme toute relativement ingrat.
Dans la nuit de dimanche à lundi 1er octobre, Pierre-Jean se réveille en sursaut dans la nuit comme secoué par une main invisible. Il croit entendre des verres qui s’entrechoquent. Trinquerait-on sans lui ? Qui oserait ? Anne-Violaine dort. La Louloute en écrase autant. Il a dû rêver… Le matin, il doute peu à peu de son ressenti pourtant vif pour se dire qu’il a dû faire un mauvais rêve. Ca fait rire sa femme… Osant à peine évoquer le sujet au travail, la Principale lui demande avec un grand sourire s’il a bien encaissé le tremblement de terre de la nuit ! L’épicentre de cette secousse se situe au large du Vanuatu et avait une intensité de 6,2 sur l’échelle de Richter (auquel personne, sauf les scientifiques, ne comprend rien puisque ses « barreaux » ne sont pas espacés de manière régulière…). Les tremblements de terre ne sont pas rares ici, mais restent sans graves conséquences… Le tremblement a eu lieu à 5 heures du matin. A 6h00, quelqu’un frappe à la porte. Le temps de se réveiller, de s’assurer que ce n’est pas un coup de vent, d’attraper une chemise, de retrouver ce satané chausson, je finis par ouvrir la porte ébouriffé. Je découvre « Pa Dodo », le senior des agents. « Messieu Nouël, che foulais vous pwévenir qué che n’iwai pas twavailler aujourd’hui : che suis fatiguééé… ». Pris un peu au dépourvu, j’ai passé ma main dans mes épis ne sachant pas trop quelle attitude adopter… C’est vrai que moi aussi j’étais fatigué… De ma fatigue est née un sentiment de compréhension immense qui m’a fait acquiescer instinctivement en lui souhaitant de nous revenir en pleine forme le lendemain… Loïc Gourmelen, qui travaille à Ifremer, m’avait confié qu’un employé lui avait fait le coup mais à 3 heures du matin… On se lève tôt ici, alors pour prévenir avant que la journée ne commence, il faut avertir encore plus tôt…dans la matinée !
A propos de 3h du matin, dans la nuit, Anne Ziuchatti, notre voisine du Limousin, nous téléphone à cette heure précise pour nous avertir que Lundi la cuve de fioul de notre maison à Gençais sera remplie. Anne est effondrée quand elle apprend l’heure qu’il est chez nous ! Mais cela nous a fait plaisir d’entendre le Limousin, et en plus, c’est nous qui sollicitions encore un service à nos chers voisins. A titre d’information, Joël et Anne, notre champ sera fauché première quinzaine de novembre : il n’y a rien à faire.
Lundi 2 octobre, j’apprends de la Principale que malgré son soutien appuyé à la candidature d’A.V auprès du Vice-Rectorat, quelqu’un d’autre ayant plus d’ancienneté chez les maîtres auxiliaires (et c’est pas difficile car A.V a une ancienneté = 0), vient finalement d’accepter le remplacement du prof de maths. Tout le monde est déçu. P.J l’a surnommé « le Philippin » !
Samedi 8 octobre, encore surpris en plein sommeil, quelqu’un frappe à la porte… Même scénario du meil-meil dans les cui-cui, de ce fourbe de chausson fuyard, de cette chemise boutonnée le samedi avec le dimanche… Bref, 2 minutes plus tard je finis par ouvrir la porte à 2 gros balaises de kanak qui auraient pu m’aplatir du tranchant de la main. M’apprêtant à me protéger de mes petits bras, craintif, il m’ont brandi un énorme poisson perroquet bleu ! Ils avaient pêché cette nuit, et me proposaient du poisson frais, des langoustes et un crabe. Tope-là l’ami, vas-y que j’te prends ta poissecaille, prends donc mes pesos, et qu’on se tape dans le dos avec « Marco L’Embrouille ». Le poisson faisait 2,8 Kg et était magnifique avec ses reflets bleu outre-mer. Nous avons dégusté la moitié du poisson le midi même en daurade. Nous avons jeté un sort cruel aux langoustes le soir même (devant Prison Break !), Pierre-Jean s’est piqué en l’épluchant et s’en est ressenti toute la semaine.
Lundi 10 octobre, bien décidé à passer à l’attaque du gros crabe, nous comptions sur notre solide formation d’éplucheurs de tourteaux pour mener à bien l’opération. Batteur en main, A.V a composé une sauce rouille fantastique. Le court bouillon était épicé à souhait. La gosse était couchée. La table était mise. Il ne manquait plus que le Gewurztraminer à Tantine. Le crabe encore fumant rendait les armes en offrant ses pattes poilues à notre appétit (Félicie aussi !). Nous pensions venir à bout de cette carapace en cognant dessus avec le manche de nos couverts endurcis (Félicie aussi !), mais c’était sans compter sur la résistance de la bête cramoisie (Félicie…). Il fallait nous rendre à l’évidence, le crabe moqueur était rouge, nous étions marron, comme des bleus. Dans une esquive aussi soudaine qu’inespérée, bravant la nuit impénétrable, Pierre-Jean a filé au Collège ivre de colère afin de s’emparer d’une pince des agents. Après l’avoir soigneusement lavée, nous avons pu faire éclater les cartilages du crustacé. Curieusement, il avait un petit goût incomparable du sel de l’effort, et du laurier de la victoire.
Cette semaine, il faut que nous réapprenions à la Louloute comment s’endormir… Curieusement, il faut que cela s’apprenne… Nous nous appliquons à respecter la règle des 3 R : Rituel-Régularité-Réconfort. Même si elle faisait bien ses nuits, il fallait absolument qu’elle réussisse à faire des siestes en journée. Elle a fait de gros progrès. De plus, nous avons crevé l’abcès… causé par son BCG (on n’en est pas encore au stade des grandes discussions !).
Vendredi 13 octobre, Pierre-Jean se fait enrôler par un prof « trop cool » pour chasser de l’orque dans un jeu vidéo en réseau. P.J s’est couché à 2h du matin, alors que pour lui, à 19h, c’est comme s’il était précisément 2h… Déjà que l’entreprise ne l’emballait pas plus que cela, à force de chasser de l’orque, il s’est transformé le lendemain en mort-vivant…
Samedi 14 octobre, P.J filme pendant 4h un énorme cafard sur le dos se faisant dévorer par les fourmis. Monté en accéléré, il assure que ce sera un film génial. Plus tard dans l’après-midi, il embauche A.V pour filmer une aventure de l’incroyable Ulk… Finalement, une journée bien remplie pour un mort-vivant…
Dimanche 15 octobre, c’est notre tour d’inviter l’équipe de direction du Collège pour un repas gargantuesque. Au menu, crudités, bœuf (d’une tendresse…) au gingembre dans son soufflé de chouchoutte/potiron, arrosé d’un vin australien (le même que l’autre fois : du Shiraz, entre le Rocbère et le Porto), tarte tatin ruisselante de beurre à souhait… Bref, A.V a frappé un grand coup. D’ailleurs, personne ne s’est hasardé à se lever de table… On peut se permettre ces écarts car nous avons perdu du poids… P.J a perdu 6 kilos et veut encore en perdre 1 ou 2, et A.V en a perdu 4, ce dont elle n’avait pas besoin par contre…
Dans la nuit de dimanche au lundi 16 octobre, Toffee se met à grogner puis à aboyer… D’un coup de truffe qui est tout sauf léger, il ouvre la porte de notre chambre et s’allonge au pied du lit. P.J lui intime l’ordre de sortir, ne tenant pas compte de ses aboiements : trop de sacs poubelle louches, de branches tordues, de manteaux en boule ont été abusivement pourfendus à coup d’aboiements intempestifs pour que la bête soit un tantinet crédible dans son gardiennage. Mais une fois Toffee rendu à ses appartements, voilà-t-y-pas que la bête se remet à roucouler grave, et de redonner un coup de truffe dans la porte, et de pleurer à nouveau dans les jupons de sa mère. Intrigué, P.J laisse sa femme et son enfant à l’abri de la chambre et ne revêt sur ses épaules nues pour tout habit que son devoir de pater familias. Il ne songe même pas un instant, tellement le trouble est grandissant, à tâter le dessous du lit afin d’y harponner un éventuel chausson fuyard… Les jambes arquées, tel un pompier face au feu, il est beau dans sapeur. Arrivé dans le salon, il essaie de discerner quelque illusoire ennemi. Quand tout à coup, il distingue sur la terrasse une ombre humaine se profiler. Les pulsations cardiaques se font sentir plus fortes dans ses tempes et ses membres. Il s’approche de la baie vitrée et voit un type de 35 ans environ, barbu, à l’épaisse toison de cheveux regarder les coussins de nos chaises longues. Hésitant entre revenir sur ses pas passer quelque laine pudique, attraper la machette à des fins dissuasives, ou surprendre le gredin immédiatement, un peu en automate, P.J a décidé d’ouvrir directement la baie vitrée. Le claquement du loquet de la baie a fait sursauter le rôdeur « façon tintin », c’est-à-dire en sautant en l’air les genoux ramenés sous le menton, et en expectorant une interjection de frayeur. Ragaillardi par la peur de l’individu, P.J s’est virilement exclamé d’un « Qu’est-ce que vous faites là ?!!! » claironnant. Mais déjà, le sinistre voyou s’enfuyait à toute jambe. Un homme n’a jamais couru aussi vite en tongs je crois… Tel un Mars vainqueur, nu sur son piédestal et l’index pointé vers le fugitif, P.J a trompeté de plus belle, s’autorisant toutes les audaces vindicatives dans des « espèces de sale voleur » cinglants, puis dans un final plus mystérieux et magistral aux intonations changeantes plus sourdes, il a conclu au milieu des cocotiers et sous la lune, le vent battant ses cocos, par des « Méfiez-vous !… Méfiez-vouus !… Méfiez-vouuuus… ». Le vouvoiement prend ici une force dramatique toute énigmatique et bouleversante… et les vouuus directement inspirés de Serge Reggiani dans ses Louuuups entrant dans Paris… (En dépit du ton humoristique, tout ce qui a été dit est vrai.)
Nous vous souhaitons le bonjour à tous, nous pensons bien à vous.

Aloha, Anne-Violaine et Pierre-Jean.

Aucun commentaire: